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Un honneur sans gloire.

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Message  De_Beauharnais Ven 5 Aoû - 2:45

Un honneur sans gloire.


Ma tendre épouse,

Qu'il m'a été doux de penser à vous chacune des soirées de cette terrible affaire. A l'instant où je vous écris, le 9eme vient de poser ses quartiers dans une auberge de Vilno. Une auberge, ma chère, rendez vous compte ! Je nous revois encore, fin Juin, traversant le Niémen avec mille hommes des plus braves qu'ils soient, 600 bêtes et 45 pièces rutilantes sous ce chaleureux soleil matinal. Nous ne sommes maintenant plus que 14 fantômes, traînant avec nos 2 bêtes faméliques et un canon de 12 dont nous savons tous qu'il n'est plus apte à tirer la moindre boîte à mitraille mais que nous conservons à nos côtés tel le souvenir d'un monde qui s'est éteint.
Qui d'entre nous aurait pu deviner que ce colosse qui nous avait amené aux quatre coins de l'Europe avait des pieds d'argile ? Est-ce le destin ou la fatalité qui a guidé nos âmes vers un tel naufrage ? Répondez-moi, je vous en prie.
Nous étions entrés dans ce pays, invincibles, sous la protection de nos aigles, sous le regard bienveillant de l'Empereur. Qui pouvait vaincre cette armée dont je ne voyais ni le début, ni la fin ? Je ne saurais dire combien nous étions mais mon cœur était empli d'une confiance entière envers notre but.
Les Russes, apeurés par notre inébranlable progression, nous refusaient le combat sans cesse. La première affaire sérieuse eut lieu près d'une ville fortifiée prénommée Smolensk mais empêtrés dans cet océan de chariots, nous arrivâmes trop tard et seules les flammes qui inondaient la ville nous permirent de deviner l'ampleur des combats qui venaient d'avoir lieu. Nous héritâmes cependant de 5 pièces russes abandonnées par leurs servants afin de combler le manque créé par nos canons embourbés dans la boue formée par ces centaines de milliers de pieds foulant les routes terreuses de Russie.
Ce n'est que deux semaines plus tard que nous pûmes enfin montrer ce que valait le 9eme. L'armée russe nous attendait, solidement retranchée derrière d'impressionnantes redoutes, non loin du village de Borodino. Croyez moi, ma douce épouse, je n'ai jamais entendu tel vacarme. Nos batteries associées à celle des Russes faisaient bourdonner nos oreilles et du sang coulait des tympans de certains de nos hommes. Le martèlement des tirs incessants faisait vibrer nos cages thoraciques et je ne saurais expliquer ce qui nous empêchait d'imploser. Lorsque Murat, accompagné du 7eme hussard, passa sur notre flanc, nous ne pouvions même plus entendre l'habituel bruit assourdissant des milliers de sabots en action. Mes hommes se comportèrent pourtant avec un tel calme et un tel professionnalisme, écrasant les batteries russes avec une précision parfaite. Mais bientôt la fumée, la poudre, la poussière et l'odeur du sang envahirent l'atmosphère. La situation devenait intenable même pour les plus braves. Je me souviens encore du Caporal Naurius, accourant vers moi pour me signaler l'arrivée d'une charge de cosaques quand un boulet russe vint lui ôter la tête. Il était un homme compétent venu de Wallonie. Sa perte fut le premier coup dur pour les hommes qui avait beaucoup d'affection pour lui. La victoire n'était pas acquise alors il me fallût reprendre mes esprits rapidement. Sais-tu comme il est dur de perdre un homme ?
Les Russes se battirent avec une bravoure forçant l'admiration. Lorsque la grande redoute fût prise, nous eûmes l'ordre de faire avancer nos batteries pour éviter toute contre-attaque sur cette position fraîchement acquise. C 'est là que nous comprîmes réellement l'horreur qui s'était engagée sous nos yeux. Notre train d'artillerie fut forcé de rouler sur les cadavres tantôt français, tantôt russes qui jonchaient par centaines le champ de bataille. Des membres ici et là, des corps meurtris par des coups de sabres, des morceaux de corps arrachés par un boulet. Où est la gloire dans tout cela ? La guerre ne rend pas les hommes plus grands. Que devrais-je voir sur le corps de ce jeune homme étendu ? Une lance le traversant de part en part ? Un héros ?
Finalement la batterie arriva à se placer en arrière de la redoute mais les Russes ne vinrent plus. L'Empereur avait refusé d'engager le 2eme Grenadiers de la Garde afin de briser l'ennemi, alors celui-ci put partir en retraite sans être inquiété d'une quelconque poursuite. Nul n'en avait encore le cœur. Les Russes partis, les corbeaux les remplacèrent pour une danse macabre dans les entrailles des hommes.
L'heure du repos était venue mais il me fallait encore écrire mon rapport à la lueur d'une chandelle recouverte de suie. Ma batterie comptait 12 morts, 28 blessés et 4 pièces détruites sur 12. Un bilan lourd alors que la bataille de Moscou n'avait pas encore eu lieu. Néanmoins le sergent Thimmy réussit à s'organiser avec quelques hommes pour récupérer une pièce russe légèrement abîmée afin de la retaper.
Au petit matin, après une nuit courte, nous reprîmes le chemin de Moscou où nous nous établîmes sans coup férir. Quel étrange sentiment de pénétrer cette ville fantôme abandonnée par la quasi totalité de sa population, sans même une arrière-garde en guise de défense. Je vous aurais bien amené pour une promenade le long de ces murs de briques rouges et ces coupoles aux moult couleurs. Moscou est une ville comme nulle autre nous en avions traversé ! Mais en ce jour de Septembre, elle avait plutôt l'odeur d'une tombe tant le piège nous paraissait évident.
Les flammes à nouveau. Les flammes envahirent la cité de toutes parts au point que nous dûmes expressément quitter nos quartiers pour mener nos réserves à munitions hors de la ville. Si vous aviez pu voir ces flammes s'étendre vers le ciel tel un Enfer sur Terre.
Les états-major s'agitèrent longuement avant que la décision de la retraite ne fût prise. Était-ce donc là tout ? Tant de morts, tant de marches, tant de peines et de souffrances pour un aller-retour à Moscou ?
Forcés par une situation qui échappait à toute réalité, nous quittâmes Moscou alors que tombèrent les premiers flocons. L'hiver, un mot si étranger aux gens du Sud que nous sommes, mais qui en des lieux si étrangers, nous devint pourtant si familier. Le froid nous foudroya complètement sans prévenir et d'un Été caniculaire, nous passâmes à un Hiver comme il ne doit pas exister en France.
L'Enfer blanc vint à notre rencontre, parant notre route d'un voile immaculé. Les premiers jours de la retraite se passèrent relativement bien malgré la présence constante d'éclaireurs cosaques à l'horizon. Le 9eme prit part à la bataille de Maloyaroslavets où notre feu permit à nos troupes de capturer le pont afin de traverser en toute quiétude. Le moral était faible mais les esprits encore vifs et soudés.
Le froid s'accentua, encore et encore. Les herbes étant gelées, les bêtes ne tardèrent pas à mourir de faim les unes après les autres. Par manque de bêtes, nous ne pûmes tracter nos pièces et bientôt nous fûmes obligés de les démonter, en prenant soin de brûler les parties boisées, ainsi qu'en remplissant les fûts avec de la glace afin de les rendre inutilisables. Il fallût peu de temps avant que les forces ne nous manquent, et nous n'eûmes d'autres choix que d'abandonner les canons en l'état à l'ennemi. En effet, les bêtes et les pièces ne furent pas les seules victimes. Les gelures commencèrent à toucher les hommes faute d'approvisionnement en souliers. Certains d'entre nous ne pouvaient plus marcher et tombaient raides dans la neige, nous essayions de les porter avec nous mais le froid se fît si intense que nous n'osions plus sortir nos mains de leur abris de tissu. Tout homme tombé, plus jamais ne se relèverait. Sais-tu comme il est dur d'abandonner un homme ?
De Grande Armée, il n'en existait plus, pas plus qu'il n'existait de 9eme. Un matin, je vis le Caporal Chronault assis près d'un feu avec d'autres hommes. J'allai me joindre à eux un instant pour me débarrasser du givre déposé sur mes joues qui figeait mon visage dans un rictus proche d'un sourire.
Je commençai une esquive de conversation, surtout un bredouillement quand après l'absence de réponses m'apparût cette image effroyable qui hante encore chacune de mes nuits. Le caporal Chronault et les autres soldats à ses côtés étaient morts de froid, pétrifiés sur place, face à ces flammes, toujours ces flammes vers lesquelles leurs mains étaient encore tendues. Ils avaient eu une mort douce qu'ils n'avaient sûrement pas vu venir.
Bien plus atroces étaient les cris perpétuels de ceux que les cosaques encerclaient et massacraient. Plusieurs fois, j'ai pu leur échapper en me couchant entre quelques cadavres qui reposaient sur la route. Étais-je vraiment encore vivant ?
Le cauchemar semblait sans fin jusqu'à ce que ce troupeau d'âmes égarées vêtus de bric et de broc, parfois même de robes volées dans des villages traversées, se retrouva sur les rives d'un fleuve, la Bérézina. Avec la cinquantaine d'hommes du 9eme encore groupés, et nos 3 dernières pièces, nous aidâmes à retenir le flot des Russes à notre poursuite. Je ne peux oublier la vision de la Garde, encore formée en colonnes impeccables, comme tout droit sortie d'une parade, traversant le fleuve sur les pontons au milieu du pire des chaos humains. Les Russes nous donnant quelques instants de répits, ordre fut donné de se replier sur l'autre côté de la rive. A grande peine, nous nous faufilâmes avec nos pièces à travers cette marée de visages emplis d'effrois, de folie, de désespoir et parfois de résignation. Il n'y avait parfois plus personne derrière ces regards; leur âme acceptait la mort, il ne restait plus que le corps pour les retenir de partir.
Le premier canon traversera le fragile ponton sans encombre mais au moment de la traversée du second, une rumeur se répandit dans la foule : « Les cosaques, les cosaques, ils arrivent ! » Et en un instant, des dizaines de milliers de soldats à bout de force se lancèrent dans une course éperdue pour traverser le fleuve. Le ponton trembla de toute part pendant que j'aidais mes hommes à pousser le canon. Devenu instable, une partie du ponton s'écroula et avec elle, notre canon tomba à l'eau en roulant sur mon pied droit dans sa chute. Nous courûmes sur la rive proche pour échapper à une chute certaine dans l'eau glacée déjà pleine de noyés. Les cris de panique envahissaient l'atmosphère. En nous éloignant, nous pouvions voir les colonnes russes progresser pendant que des centaines de pauvres malchanceux se marchaient les uns sur les autres à la recherche d'une issue, ne voyant pas que les deux pontons s'étaient maintenant écroulés. Une fois arrivés sur le pont, ils tombaient dans l'eau poussés par ceux qui les suivaient. Quelle folie nous a donc tous frappé ? Mon épouse, en ce jour, je ne voyais plus aucun homme parmi nous, seulement des animaux, de terribles animaux.
Ce n'est que peu après que ma blessure fut découverte. Les pieds gelés, je n'avais pas senti le canon m'écraser. C'est le sergent Thimmy, dernier survivant de ma batterie qui me le signala. Je n'avais plus d'orteils au pied droit. Mon pied était devenu entièrement bleu. Le sergent Thimmy, connu pour sa débrouillardise en toute situation, me conçu un brancard avec quelques bouts de bois qu'il posa sur l'attelage du dernier canon. Et c'est ainsi que nous pûmes rejoindre Vilno deux semaines plus tard. Nous avions distancés les Russes mais pas le froid. Par chance les villages se faisaient de plus en plus nombreux, nous permettant de passer nos nuits à l'abri près d'un feu.
Ma tendre épouse, cette campagne est finie, mais une autre plus meurtrière encore s'annonce. L'Empire est menacé, et d'autres jeunes gens vont bientôt quitter nos foyers français pour se diriger vers une mort loin de toute la Gloire qui leur est promise. Moscou était la capitale de trop et c'est avec une profonde tristesse que je pense à notre Empereur qui doit porter dans sa conscience la mort de tant d'hommes de valeur !
Il y a deux jours, le chirurgien Larrey est venu me voir. La gangrène s'étant propagée, il a du m'amputer la jambe droite mais le mal étant fait, cela n'a pas pu stopper la gangrène. La fièvre qui me gagne devient difficilement supportable et ce n'est qu'une affaire d'heures avant que je ne vous quitte, mes hommes et toi. Le sergent Thimmy étant blessé au bras et souffrant de quelques gelures, je me suis arrangé pour qu'il soit démobilisé. Je lui confie la tâche de te remettre cette longue lettre en main propre ainsi que quelques napoléons que j'ai réussi à conserver sur moi. Lis cette lettre avec attention, je veux que tu saches que le 9eme s'est comporté avec honneur, je veux que tu saches ce que nous avons traversé et surtout je veux que tu la fasses lire à notre fils lorsqu'il aura l'âge de comprendre, afin qu'il ne suive pas les traces de son père, pensant trouver la gloire un fusil à la main.

Ma tendre épouse, tu sais maintenant ce que cela fait de perdre un homme.

Avec tout mon amour,

Capitaine de Beauharnais,

9eme Régiment d'Artillerie.

10 Décembre 1812.

De_Beauharnais
De_Beauharnais

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